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Black Panther, modernité noire : aux sources de Black Panther

Le temps et l’entrée dans l’histoire sont communément représentés comme un danger, voire comme une dégradation »

Nicolas Sarkozy, Discours de Dakar, 27 Juillet 2007

L’appropriation culturelle désigne à l’origine l’utilisation d’éléments matériels ou immatériels d’une culture par les membres d’une autre culture, dont l’acquisition d’artefacts d’autres cultures par des musées occidentaux. Par la suite, le concept est utilisé par analogie par la critique littéraire et artistique, le plus souvent avec une connotation d’exploitation et de domination.

Personne (ou quasi) n’a échappé au phénomène Black Panther, dévoreur de zeitgeist planétaire, un milliard et quelques centaines de millions au box office mondial, un pourcentage exceptionnel de 97% dans l’aggrégateur de critiques Rotten Tomatoes signalant un succès critique équivalent.

Mais plus qu’un simple succès financier ou critique c’est qu’il soit un film entièrement “noir” (si on fait exception de Disney, le propriétaire des Marvel Studios) : un casting noir, comprenant des acteurs de toute la diaspora, un réalisateur noir, le brillant Ryan Coogler, des scénaristes noirs, une bande originale portée par Kendrick Lamar, au travail des costumes par Ruth E. Carter et aux décors inspirés par l’Afrique sub-saharienne d’Hannah Beachler c’est  toute une excellence noire qui est mise en avant, mieux, une modernité noire qui réussit.

Mais alors pourquoi parlez d’appropriation et mettre une citation du sinistre discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en exergue ? Commençons par le début. 

AUX SOURCES DE BLACK PANTHER

Black Panther, le comics, a été inventé par Stan Lee et Jack Kirby en 1966. Lee et Kirby ressemble à ça:

Stan Lee et Jack Kirby

Deux fils d’immigrés Juifs d’Europe de l’Est ayant grandi à New York dans l’industrie hyper-macho de la bande dessinée américaine. Deux hommes blancs hétérosexuels aussi pour parler moderne (mais peut-être à tort).

Le “Sensational Black Panther” est introduit en en Juillet 1966, dans le numéro 52 des Quatre Fantastiques. Un chef africain du nom de Black Panther décide de faire cadeau aux Quatre Fantastiques d’un avion à la technologie surprenante pour visiter son pays.

#thatsracist (Fantastic Four #52 (1966) de Jack Kirby)


Et La Chose, le membre difforme des Quatre Fantastiques, de s’exclamer : “Jamais entendu parler d’lui ! Mais comment un réfugié d’un film de Tarzan peut-il mettre la main sur ce type de gadget ? Et pourquoi il te le donnerait ? “.

C’est beau… Mais toute l’introduction de Black Panther repose sur cette subversion des attentes du lecteur de comics majoritaire de l’époque et de ses clichés : qu’est-ce qui pourrait bien faire ce lecteur s’intéresser à un héros qui ne lui ressemble pas ? Car dites vous que s’il est difficile de convaincre un studio de faire un film tout public à gros budget avec un casting presque entièrement noir en 2018, ce n’était pas beaucoup plus facile d’introduire un personnage noir dans le monde des comics américains dans les années 1960.

Black Panther, héros noir porte un masque qui cache tout son visage. Pour indiquer sa capacité au camouflage ? Que c’est quelqu’un de mystérieux ? Probablement. Mais c’est aussi le cas de tout un tas d’héros de Jack Kirby à l’époque. Mais aussi des comics en général. Batman est mystérieux, mais on connaît son vrai visage. Seul le personnage noir doit cacher tout son visage.

C’est qu’il s’agit aussi d’éviter de trop repousser les lecteurs de comics de l’époque qui n’hésitaient pas à manifester leur dégoût de voir un héros noir apparaître. Alfred Andriola, co-créateur d’Henry Drake, de confesser en 1966 :

“Admettons-le, les personnages de comics sont le domaine de l’homme blanc, et si nous montrons le nègre comme héros nous recevrons des lettres courroucées du Sud [NDA Des Etats-Unis, ségrégués à l’époque]”.

Bobby Seale et Huey P. Newton cofondateurs du Black Panther Party. Photo non datée.
(AP Photo/San Francisco Examiner)

Mais Kirby et Lee prennent le risque dans une de leurs séries phare. Ce ne sera pas le seul. Marvel, en beaucoup de points, représente la modernité en comics.* Que Kirby ait été un pauvre gamin juif dans l’Amérique de la Grande Dépression qui a du faire face a beaucoup d’antisémitisme n’est pas un hasard. Au sujet de la création de Black Panther, il explique : « personne ne créait de personnages noirs, pas même moi, or les noirs lisent aussi des bandes dessinées, donc je me devais d’en créer ».

Quant à savoir qui du Black Panther Party ou de Black Panther le héros fut créé en premier, on peut répondre aujourd’hui assez clairement que la création de la bande dessinée précède celle du Black Panther Party de quelques mois. Celui-ci ne s’inspirant pas non plus du comics mais de la mascotte d’un mouvement des droits civils en Alabama. Tout ce monde a eu une inspiration visuelle similaire dans une même fenêtre de temps pour  trouver un symbole à des problématiques relativement liées dans un contexte de droits civiques ? C’est bien possible !

Il y en a même une troisième.

*Il est bien possible que l’auteur soit #TeamMarvel

« Black Panther, modernité noire » est une série. Retrouvez une partie chaque jour.
I. Aux sources de Black Panther
II. Marny, la Panthère noire
III. Wakanda, l’Atlantide noire
IV. L’impossibilité du Wakanda
V. La réappropriation
VI. Hegel et Zera Yacob
VII. Erik
VIII. La vengeance est-elle une solution politique ?

Texte paru originellement dans le Zist 18, en Février 2019. Ceci est une version rééditée et augmentée pour le web.